La reprise du personnage d’Amélie Poulain dans une campagne publicitaire constitutive de parasitisme mais pas de contrefaçon
Comme souvent, le parasitisme apparaît comme un palliatif à l’absence de protection par le droit d’auteur.
Le jugement n°22/13834 rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 19 décembre 2024 en est un exemple.
Exposé du litige
L’affaire trouve son origine dans une campagne publicitaire intitulée « Tu veux ma photo ? » diffusée le 1er juillet 2022 sur le site internet Photomaton, sur les réseaux sociaux, ainsi que sur l’extérieur de nombreuses cabines, dans laquelle apparaît une femme masquée déguisée en Zorro, dans un photomaton.
Le personnage litigieux est appelé Amélie 2.0 dans le spot publicitaire.
Sorti en salles en 2001, le film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » a rencontré un succès international, et fait encore aujourd’hui l’objet d’une importante diffusion.
L’une des scènes emblématiques de ce film porte sur la confection par Amélie Poulain d’une photographie d’elle-même, masquée et chapeautée tel le personnage de Zorro, et la reconstitution de ladite photo par l’un des protagonistes du film.
Constatant la diffusion non autorisée de cette campagne publicitaire, la société UGC Images ainsi que les co-scénaristes et réalisateur du film ont mis en demeure la société ME Group France, exploitant les photomatons, de cesser l’utilisation du personnage d’Amélie Poulain dans la campagne litigieuse, invoquant des actes de contrefaçon et de parasitisme.
La société ME Group France ayant contesté les actes de contrefaçon et de parasitisme allégués, l’affaire a été portée devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Les ayants droit du film réclamaient la condamnation de la société ME Group France, faisant valoir que le personnage d’Amélie Poulain et son univers étaient protégés par le droit d’auteur, de même que la séquence emblématique du film, et que la reprise de ce personnage dans la campagne publicitaire litigieuse, en en revendiquant expressément l’emprunt, était constitutive de contrefaçon.
A titre subsidiaire, les demandeurs invoquaient des actes de parasitisme du fait de « la reprise d’éléments fortement évocateurs du film (…) dont la notoriété et le pouvoir attractif sont exploités depuis plus d’un an sans bourse délier ».
La défenderesse estimait à l’inverse que les demandes des ayants droit du film devaient être rejetées, le personnage d’Amélie Poulain n’étant pas protégeable par le droit d’auteur.
Le 19 décembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a débouté les ayants droit du film de leurs demandes au titre de la contrefaçon mais a condamné la société ME Group sur le fondement du parasitisme.
Sur la protection du personnage par le droit d’auteur
Le Tribunal a rappelé qu’un personnage de fiction est susceptible de constituer une œuvre originale protégeable par le droit d’auteur, et sa reproduction non autorisée, une contrefaçon, « notamment en cas d’identification immédiate ».
Pour apprécier la protection du personnage par le droit d’auteur, il convient de "se livrer à une appréciation globale prenant en compte notamment :
- les aspects « physiques » du personnage,
- ses attitudes comportementales,
- ses caractéristiques propres et « récurrentes »
afin de dégager une impression d’ensemble de la création et non pas à un examen détaillé élément par élément ».
En l’espèce, le Tribunal a relevé qu’Amélie Poulain est « une jeune femme d’apparence banale » qui « ne se singularise par aucun attribut reconnaissable, hormis sa coupe de cheveux avec une frange courte », ajoutant que« le chapeau noir et le masque ne constituent guère davantage une caractéristique physique pérenne du personnage d’Amélie Poulain, ni un trait symbolique du personnage (…) ».
En tout état de cause, «ces deux accessoires caractéristiques du personnage de Zorro, autre personnage de fiction dont les attributs formels sont inappropriables, et qui pris séparément, appartiennent au demeurant au fonds commun de l’univers vestimentaire, en particulier celui du déguisement, ne révèlent, même combinés à l’univers très particulier des cabines photographiques automatiques, aucun parti pris esthétique, ni une quelconque recherche qui traduirait un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur créateur en conférant à ce personnage une personnalité propre identifiable (..) ».
Dès lors, le personnage d’Amélie Poulain ne pouvait prétendre à la protection par le droit d’auteur, de même que la séquence du film « qualifiée d’emblématique » dans laquelle Amélie Poulain se fait photographier en Zorro dans une cabine photomaton.
Par conséquent, à défaut de protection par le droit d’auteur du personnage d’Amélie Poulain et de la scène du film litigieuse, les demandes des ayants droit du film ont été rejetées.
Sur le parasitisme
Il est rappelé par le Tribunal que « le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis».
Il revient en outre « à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque (…) ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage (…) ».
Pour caractériser les actes de parasitisme, le Tribunal a retenu en l’espèce que :
- le film « sorti en salles en 2001 a connu un succès considérable, enregistrant plus de huit millions d’entrées et récompensé de quatre césars en 2002 dont celui de meilleur réalisateur, meilleur film et meilleurs décors. Le succès du film ne s’est jamais démenti, étant encore régulièrement diffusé sur les principales chaînes et plates-formes à la demande (…) Il en résulte que le film revêt encore une valeur économique indéniable plus de vingt ans après sa sortie ».
- « (…) en reproduisant dans son spot publicitaire intitulé " Tu veux ma photo ? " diffusé sur YouTube ainsi que sur le site internet www.photomaton.fr, un personnage de jeune femme brune aux yeux foncés, habillée, chapeautée et masquée de noir, filmée et photographiée dans une cabine photomaton et en déclinant ce personnage sur les façades et parois extérieures des nombreuses cabines de la société défenderesse installées notamment dans les gares, stations de métro et centres commerciaux, tout en revendiquant expressément son emprunt au personnage du film (…), la société ME group France s’est placée délibérément dans le sillage des demandeurs et a tiré indûment profit de la notoriété du film et de celle de son héroïne (…) ».
Sur le fondement du parasitisme, la société ME Group France a donc été condamnée à payer :
- à chacun des auteurs la somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral subi
- et à la société UGC Images la somme de 15.000 € en réparation de son préjudice économique, outre les mesures de suppression réclamées par les demandeurs.
Consultez toutes les Actualités du Cabinet Isaure Barthet Avocats
Pour demander conseil et obtenir un devis,contactez le Cabinet Isaure Barthet Avocats